Sur la Route Bleue Mythique de la Caraïbe By Odyssea

Les Habitations

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Les Habitations

Habitations sucreries dans les Caraïbes

Depuis les débuts de la colonisation française en Amérique et dans l’océan Indien au XVIIe siècle, le terme habitation a été employé pour désigner un lieu de résidence permanent couplé à une exploitation agricole. Elle comprend l’ensemble des bâtiments domestiques et industriels, les terres cultivées ou non, le personnel servile ou engagés et le bétail.  L’unité de base de l’économie de plantation est l’habitation-sucrerie.

Sur la Route Bleue Mythique de la Caraïbe by Odyssea

Habitations sucreries dans les Caraïbes

De s’habituer à habiter ou l’origine de l’habitation

Depuis les débuts de la colonisation française en Amérique et dans l’océan Indien au XVIIe siècle, le terme habitation a été employé pour désigner un lieu de résidence permanent couplé à une exploitation agricole. Elle comprend l’ensemble des bâtiments domestiques et industriels, les terres cultivées ou non, le personnel servile ou engagés et le bétail.  L’unité de base de l’économie de plantation est l’habitation-sucrerie. Aux Antilles,  c’est un domaine terrien dont la raison d’être est la mise en valeur à des fins spéculatives de terres qui ne seront jamais des terroirs, et qui a trouvé dans la culture de la canne sa plus parfaite expression. L’habitation est un système économique, social, et politique. On a affaire  à  une  concentration  verticale,  de  la  propriété  de  la terre jusqu’à la commercialisation du produit semi-fini.

Après l’installation d’une autorité permanente dans les territoires occupés par les Français, Compagnie des Indes, Seigneurs propriétaires, puis Administration royale, les hommes libres reçoivent une concession appelée « place » d’une étendue de 20 ha environ d’abord, de 10 ha environ ensuite. La concession a la forme d’une lanière limitée en aval par « le battant des lames » de l’océan et en amont par le « sommet des montagnes ». Apparaissent ensuite les « étages » sans accès à la mer, limités par une rivière ou une ravine. Pour conserver sa « place », le concessionnaire doit « s’habituer » c’est-à-dire, en ancien français, construire sa demeure et résider sur sa terre, la défricher et la mettre en culture. Le concessionnaire résidant et exploitant prend alors le nom d’habitant et la concession mise en valeur celui d’habitation.

La production du sucre est développée essentiellement dans les petites et les grandes Antilles anglaises, espagnoles, françaises et hollandaises, au Brésil, mais aussi dans l’océan Indien, à l’île Maurice et à la Réunion… Partout, nous trouvons le même système productif, avec de grands domaines, les habitations, haciendas (ou hacienda -trapiche), fazendas, les engehos da assucar brésiliennes, avec leurs « jardins », vastes étendues plantées en cannes, découpées en carreaux.

Des fonctions d’exploitation qui priment

Pour ces premiers habitants du XVIIème siècle aux Antilles, le principal objectif est de faire fortune avant de revenir en France. La priorité est donc de cultiver le tabac, l’indigo, le coton, le café, le cacao puis la canne à sucre qui prend rapidement le pas sur les autres cultures, dans l’espoir de produire rapidement des revenus tout en limitant les dépenses pour l’établissement et le logement. Aussi, faute de grands moyens financiers de départ, les constructions sont légères et provisoires, d’autant plus que charpentiers, maçons et menuisiers sont encore rares. Elles sont le plus souvent réalisées à partir de matériaux trouvés sur place. 

Comme l’habitation est avant tout un lieu de travail, la primauté est donnée aux équipements industriels qui coûtent cher, surtout s’agissant de sucreries.  De plus, le maître de l’habitation ne résidant toujours sur place car préférant laisser la gestion à un géreur, il a peu de motivations à engager des frais pour le loger.

A la fin du XVIIe siècle, le père du Tertre, soldat puis dominicain d’abord établi en Guadeloupe vers 1640, donne une bonne description de ces maisons : “ Celles des officiers et des riches habitants ne sont pour la plupart qu’une charpente revêtue de planches, avec un étage au-dessus de la salle, dont le plancher est d’ais (planche de bois) ou de brique ; elles sont couvertes de tuiles. Les autres ne sont couvertes que de bardeaux de bois, en guise de tuiles. Les maisons des simples habitants ne sont encore palissadées que de roseaux, particulièrement là où on ne craint pas les incursions des sauvages. Celles des plus pauvres sont couvertes de feuilles de cannes, de roseaux, de latanier et de palmiste ; celles-là sont incomparablement plus agréables que nos chaumines de France ”.  Certaines régions plus pauvres de Caraïbe, comme la Guyane, conservent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime un habitat précaire, car le manque d’artisans oblige pendant longtemps les premiers colons à avoir recours aux Indiens caraïbes pour construire. 

Au cœur de l’habitation, l’exploitation industrielle s’organise autour d’un ou de plusieurs moulins pour broyer les cannes, les types de moulins ou de pressoirs étant divers par le moteur (à homme, à traction animale, souvent des bœufs, à eau, à vent et finalement à vapeur au XIXe siècle) ou par la disposition des meules (horizontales, verticales, cylindres). Nous trouvons les chaudières pour la cuisson du jus extrait, la série des cuves, chaudrons et récipients pour l’écumage, la purification, le lessivage et l’épaississage du jus, enfin les cônes d’argile où s’effectue la « purge » ou séchage.

Les premières maisons de maitre

Quelque peu en hauteur, sur un « morne » (colline), légèrement à l’écart, sous le vent des cases des travailleurs et des ateliers, la « casa grande », la grande case, soit la maison du maître, l’habitant, du régisseur ou du gérant lorsque le propriétaire est un grand seigneur, un financier absentéiste ou une compagnie commerciale.

Les premières habitations ne présentent pas de plan type pour l’aménagement intérieur des maisons de maître. Elles s’agrandissent, comme les autres bâtiments de l’exploitation, en fonction des besoins et des revenus du colon. L’habitation coloniale ressemble alors à un “ chantier permanent ”. De plus, il n’y a pas vraiment de séparation entre l’espace d’habitation, les espaces de réserve et les magasins. Ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIème et surtout au XVIIIème siècle que ces plans apparaissent. Enfin, avec l’enrichissement général des colons, la facilité du crédit et le développement d’une population créole blanche née aux Amériques et qui ne souhaite pas quitter les colonies, la maison de maître prend plus d’importance.

Pourtant, dans un premier temps, ce ne sont que des aménagements standard rudimentaires qui s’instaurent : “ Ces logements n’ont que des salles basses, séparées intérieurement en deux ou trois pièces, dont l’une sert de salle, l’autre de chambre à coucher, la troisième de garde-manger ”. Enfin 

En Martinique et en Guadeloupe, les premières maisons de maitre en maçonnerie apparaissent dans les années 1770-1780. Pourtant, le bois n’est pas abandonné car il est beaucoup moins onéreux, y compris dans sa mise en œuvre. Cependant, comme à Saint-Domingue, les constructions sont désormais plus grandes ; la structure en bois repose sur base maçonnée qui limite les dégâts provoqués par l’humidité et les remontées capillaires. Le bardage est généralement laissé naturel et le bois prend souvent une couleur grise. Parfois, on passe une couche de gros rouge qui donne au bois une couleur d’acajou rouge. Lorsque les murs ne sont pas palissadés de planches, la maçonnerie entre poteaux est enduite à la chaux et peut même recevoir un badigeon, blanc ou ocre jaune. Ce traitement permet aussi de protéger la structure des insectes et des poux de bois. Cependant, de très nombreuses maisons de maître restent modestes, surtout celles des “ petits blancs ”.

D’un espace multifonctionnel complexe à un outil de production spécialisé

La zone domestique de l’habitation comporte des aspects habituels, comme la maison de maître, la cuisine, l’écurie, les dépendances, mais aussi des aspects plus originaux comme la case à eau avec ses jarres maçonnées, ou la case à farine avec ses platines à manioc montées, la case à vent, zone d’abri en cas de cyclone, les citernes, ou même l’hôpital et la prison. La complexité, et la richesse éventuelle de la demeure principale, se lisent à travers le nombre de pièces, l’existence d’un étage, d’un couloir de distribution des pièces, de galeries autour du corps central. Tout à l’opposé, la case à travailleurs est d’une extrême simplicité, sans être pour autant rudimentaire.

Le processus de fabrication joue un rôle fondamental dans la forme des bâtiments. Les coursiers des moulins à eau, la disposition circulaire des moulins à bêtes, les tours des moulins à vent sont étroitement dépendants du mécanisme mis en place. L’équipage des chaudières est ordinairement le long du mur pignon de la sucrerie, bâtiment classiquement rectangulaire comme la purgerie. L’étuve, qui doit être chauffée, est un petit édifice sur plan carré ; la case à bagasse n’offre que quelques piliers à la couverture qui protège les résidus combustibles de la canne. Les étapes de la production peuvent être dissociées dans des bâtiments séparés (cas le plus fréquent) mais il peut y avoir l’association de certaines fonctions (sucrerie et purgerie et étuve, et même sucrerie et habitation).

Il faut attendre l’arrivée de la révolution industrielle dans les Antilles au XIXème siècle pour que tout le processus de fabrication du sucre, de la culture de la canne jusqu’à sa transformation, jusqu’alors assuré sur l’habitation soit transféré aux nouvelles usines centrales équipées de matériel ultra moderne, capables de traiter de grandes quantités de canne, et de produire du sucre à un coût compétitif. 

Désormais, l’habitation se contente de cultiver la canne, puis de la vendre directement à l’Usine Centrale pour transformation, les bâtiments de production tombent peu à peu en ruines sur les petites exploitations et ne restent aujourd’hui le plus souvent visibles que les espaces domestiques dont la maison de maître est un des principaux témoins de cette époque révolue.

Sources 

Maisons de maître et habitations coloniales dans les anciens territoires français de l’Amérique tropicale – Christophe Charlery

Paradigmes productifs et histoire: le cas du sucre de la Méditerranée à la Caraïbe – Pierre Dockès – Université Lumière Lyon 2